De nombreux accidents et blessures sont le résultat d'erreurs involontaires. Mais qu’en est-il des cas où nous prenons un risque en négligeant consciemment une règle ? Voici pourquoi nous prenons sans cesse de mauvaises décisions – et comment les éviter.
Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout préoccupés des quatre états – fatigue, frustration, précipitation et excès de confiance – et des réactions en chaîne désastreuses qui conduisent d’abord aux erreurs involontaires, puis aux accidents et aux blessures. Ce processus se produit généralement sans même que nous le remarquions. Mais que faire lorsque nous nous rendons compte que ce que nous faisons est fondamentalement une erreur et que nous prenons un risque de sécurité inutile ? Est-il possible que nous décidions parfois consciemment d’entrer en ligne de tir ou de ne pas respecter les règles de sécurité ? Comment prenons-nous ces décisions critiques – et comment les éviter – voici le sujet du neuvième article de notre série Paradigm Shift.
Le dernier article de la série Paradigm Shift portait sur le « timing de l’excès de confiance » et sur le fait que, du point de vue de la sécurité, ce n’est pas tant l’activité que nous faisons qui compte que le moment où nous la faisons. En comptant les blessures subies lors de certains types d’activités – y compris les simples égratignures ou les bosses – vous constaterez que vous vous êtes déjà blessé pendant que vous pratiquez des activités habituelles, que ce soit de la marche, de la course, du ménage, en transportant des objets (dont certains vous sont tombés sur les pieds, souvenez-vous !), en conduisant, en faisant la cuisine ou encore de la couture…
Les blessures graves, en particulier, surviennent généralement lorsque nous ne sommes pas concentrés et attentifs à la tâche. Par conséquent, nos réflexes ne peuvent pas nous protéger et nous nous trouvons, ne serait-ce qu’un instant, sans défense et vulnérable. Nous ne pouvons pas freiner, braquer le volant, retrouver l’équilibre ou baisser rapidement la tête – juste parce que nous n’avions pas les yeux ouverts au moment crucial. C’est de cela que nous parlons lorsque nous disons que la sécurité ne dépend pas tant de l’activité, mais du timing (voir l’Illustration 1).
En fait, la plupart de nos « moments sans défense » surviennent au deuxième stade de l’excès de confiance, c’est-à-dire lorsque nous ne sommes plus conscients des risques potentiels pour la sécurité et que nous ne retrouvons nos esprits que grâce à un stimulus externe, par exemple lorsqu’une charge en suspension nous passe juste à côté de la tête. Une fois en sécurité, nous nous rappelons après coup qu’il est nécessaire de rester concentrés et attentifs à la tâche et faire attention à là où nous allons lorsque nous nous déplaçons dans l’entrepôt. Cette tendance révèle pourquoi les employés plus âgés et expérimentés sont plus souvent victimes de blessures graves ou fatales. En effet, tant que l’excès de confiance n’est pas un problème, les travailleurs inexpérimentés sont moins susceptibles d’être blessés que les travailleurs expérimentés.
Cependant, bien qu’ils accordent plus d’attention aux risques et aux dangers, les travailleurs inexpérimentés n’ont toujours pas les compétences nécessaires pour effectuer correctement leur tâche. Ainsi, en plus des techniques et des compétences nécessaires à l’activité elle-même, ils doivent également former leurs réflexes afin d’adopter un comportement sûr à long terme.
Plus nous répétons une activité particulière, plus nous commençons à nous surestimer. Ce niveau accru de confiance en soi peut alors influencer nos décisions. Non seulement les moments « sans défense » se multiplient, mais la volonté de rompre avec l’habitude et de changer nos comportements diminue également – surtout lorsqu’il ne nous est jamais rien arrivé. Cela peut conduire à normaliser les comportements à risque, comme ne pas tirer la visière ou ne pas boucler sa ceinture au volant d’un chariot élévateur. Si quelqu’un travaille avec une meuleuse depuis 20 ans sans utiliser de visière, on peut supposer que la cause en est une confiance excessive.
Néanmoins, pour d’autres – nous espérons la majorité – il est normal de fermer la visière, tout comme de respecter la limite de vitesse ou de ne la dépasser que légèrement. Nous aimons suivre nos propres règles et nous ne les enfreignons pas – la plupart du temps.
Mais si on est pressés ? Alors on fait une exception. Non seulement nous dépassons la limite de vitesse, mais nous enfreignons également les règles que nous nous sommes fixées. Et cela ne se produit pas seulement lorsque nous sommes pressés, mais aussi lorsque nous sommes frustrés ou fatigués. C’est ainsi que nous prenons la décision critique de nous comporter de façon risquée.
Prenons l’exemple d’un employé qui doit couper un tuyau. À cause du capot de protection, sa scie circulaire est trop large pour découper à l’intérieur de l’espace nécessaire. Cependant, il est déjà 17h, l’atelier est à une bonne dizaine de minutes de marche, et il ne veut pas perdre du temps supplémentaire. Il prend donc la décision critique d’enlever le capot. Et là, le drame arrive : le disque de la scie percute son autre main, sectionnant presque tous les tendons. Ceci n’était pas une erreur involontaire due à l’excès de confiance, la fatigue, la frustration ou la précipitation. C’était le résultat d’une décision délibérée – influencée par les quatre états en même temps. Notre travailleur n’a pas pris cette décision parce qu’il était incompétent, et il aurait certainement dû savoir qu’il s’agissait d’une mauvaise idée. Son problème, en fait, c’est qu’il ne savait que trop bien : il connaissait si bien l’outil qu’il pensait pouvoir se passer de la protection.
Si cette « confiance en soi » s’accompagne de précipitation, de frustration, de fatigue et d’excès de confiance, les personnes ordinaires et les employés de bonne volonté prendront des décisions critiques dangereuses. Comme nous l’avons vu, on fait des exceptions et on enfreint non seulement les règlements officiels, mais aussi nos propres règles (voir l’Illustration 2).
L’histoire ci-dessus était malheureusement un cas réel et, lorsque j’en ai entendu parler, je n’avais aucun doute sur le fait que j’avais moi aussi enfreint d’innombrables règles dans le passé parce que j’étais pressé, frustré, fatigué et/ou que je surestimais mes propres compétences. Pour moi, il s’agissait là d’un élément clé, car je savais que les décisions – en particulier les mauvaises décisions – sont un enjeu majeur en matière de santé et de sécurité au travail. Il ne s’agit pas seulement de quelques brebis galeuses qui résistent aux règlements de sécurité, de personnes qui, par principe, ne portent pas d’EPI ou qui font fi des normes de travail. Non : il s’agit plutôt de « gens normaux », de « bons travailleurs » qui ont toujours pris des décisions critiques dangereuses et se sont autorisés des exceptions à leurs propres règles. L’homme qui s’est sectionné les tendons de la main avec sa scie circulaire en est un parfait exemple.
Cela semble tout à fait normal : nous ne suivons pas toujours toutes les règles et procédures. Il y en a que nous ne respectons jamais, comme lorsque nous dépassons très légèrement la limite de vitesse officielle sans même le remarquer. Il en va de même pour les personnes qui ne portent pas de ceinture de sécurité ou qui n’abaissent pas la visière de leur casque et qui, après 20 ans, ne remettent plus en question ce comportement. Si certaines règles ne sont que rarement enfreintes, d’autres en revanche ne sont jamais suivies.
Ensuite, il y a les personnes qui suivent habituellement une certaine règle. Encore une fois, cela n’est plus remis en question après de nombreuses années de routine : le port de la ceinture et de la visière de sécurité est devenu une habitude physique que l’on fait par automatisme. Mais si la même personne travaille maintenant avec une meuleuse et ne porte pas la visière de son casque alors qu’elle est pressée, et que sa tâche semble être brève – alors un travailleur exemplaire peut soudainement constater qu’il a pris une décision capitale qui a entraîné une blessure, même si son comportement n’avait auparavant jamais semblé inquiétant. Cette situation vous semble familière ?
Même les gens ordinaires et les bons employés se laissent influencer par la précipitation, la frustration, la fatigue et l’excès de confiance sur des décisions importantes. Ces décisions, où nous enfreignons nos propres règles, ainsi que les erreurs involontaires, sont à l’origine de 95 % de toutes les blessures. Et nous faisons tous ce type de décisions et d’erreurs au quotidien.
Les erreurs involontaires et les décisions critiques graves qui en découlent doivent être évitées – pour le bien des travailleurs autant que celui de l’entreprise. Il est crucial de permettre aux employés d’éviter les erreurs involontaires et de veiller à ce qu’ils ne prennent pas de mauvaises décisions lorsqu’ils sont fatigués, frustrés, pressés ou en excès de confiance.
La bonne nouvelle est que les TREC nous aident à diagnostiquer notre état et, par conséquent, à éviter les erreurs critiques avant qu’elles ne se produisent. De plus, ces techniques nous aident aussi à éviter des décisions critiques pouvant être fatales.
Si l’homme à la scie circulaire avait utilisé sa fatigue (l’état d’esprit le plus proéminent) ou sa frustration comme déclencheur pour rétablir sa présence d’esprit, pour réfléchir consciemment à ce qu’il faisait, il aurait pu alors s’arrêter. Il se serait demandé : « Mais, qu’est-ce que je fais exactement ? Cela en vaut-il vraiment la peine ? ». Il aurait pu peser et évaluer le risque réel de l’action qu’il s’apprêtait à faire, puis prendre la bonne décision.
Ainsi, nous pouvons contrôler nos décisions critiques potentiellement dangereuses au moyen des quatre TREC : a) Utiliser votre état émotionnel ou vos sources potentielles de danger comme déclencheurs pour vous remettre en question et éviter une décision critique. 2) Analyser les décisions critiques qui ont été prises à la légère et envisager comment les choses auraient pu mal tourner. 3) Observez vos collègues et vos semblables : prennent-ils des décisions critiques dangereuses ? Mais attention votre propre effet sur les personnes en question, car le seul fait de votre présence pourrait prévenir une mauvaise décision critique de leur part (par exemple, un travailleur pourrait porter sa ceinture de sécurité parce que vous le regardez ; voir l’Illustration 3). 4) Assurez-vous que le comportement est une habitude qui marche automatiquement, une habitude à laquelle vous n’avez plus besoin de réfléchir. Dans ce cas, vous n’avez pas à prendre de décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Par exemple, si vous commencez à conduire une voiture, vous bouclez votre ceinture, peu importe la destination. Parce que le comportement est déjà acquis, l’idée de faire une exception ne vous vient même plus à l’esprit.
Toutes nos erreurs ne sont pas involontaires. Beaucoup d’entre elles trouvent leur source dans nos propres mauvaises décisions. Prenez les bonnes décisions et protégez-vous, vous et vos employés !
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Téléchargez gratuitement l’article Paradigm Shifts #9 – Décisions critiques – Partie 1 : Le risque normal et exceptionnel – en PDF !